Le Fil oui

Aphorismes

Francis Lombard


Je sais mon paradis originel. J’ai au cœur un parc immense et un château de rêves. Je me souviens de grands marronniers caressant nos fenêtres, de la sombre muraille d’enceinte cerclant l’éden de ses mystères imminents, d’un infini d’allées, de sentiers, de magies et de forêts profondes. Je sens encore le parfum âcre et suranné de ses vestiaires de plâtre jaune et gris, la fragrance capiteuse du bois verni et la profondeur du monde.

Je sais aussi ma chute. Le péché, la honte et la mort. Le fil rompu de ma vie, l’harmonie déchiquetée, l’éternité éteinte, l’angoisse, la blessure et la perte, le mensonge, le néant, l’absence et la solitude. J’avais sept ans, à peu près. Ma vie s’est arrêtée là, engloutie dans les ruines de l’innocence. Hier.

Je sais enfin mon rédempteur. Il était là dès le premier jour, et même avant, depuis toujours ou presque. Bien avant ma naissance en tous cas. Il était ma vie, je ne le connaissais pas mais je l'ai nommé pour la première fois à l’instant même où je suis tombé : Jésus, Christ.

Aujourd’hui, je reprends la main, je renoue le fil. Ma vie fut coupée net par un ‘non’ définitif et insupportable, anéantie par cette négation terrible de tout ce qui vivait alors en moi et attendait la vie. Ce nihilisme diabolique et pervers m’a poursuivi - avec des fortunes diverses mais une fidélité sans failles - de mon enfance à ce jour. A ce ‘non’ vide et tonitruant j’oppose aujourd’hui un ‘oui’ discret mais tenace. Au vacarme du néant je réponds à présent par le murmure du fil des ruisseaux d’eau de ma vie retrouvée.

Le vrai bonheur est intérieur. La faiblesse produit l’humilité, la vraie, elle rend meilleur, c’est pourquoi je désire garder humilité et fragilité fidèlement.

Le Fil oui n’est pas un roman, c’est ma vie, vécue, niée, désirée, rêvée, espérée et réalisée. Mon seul courage est dans ce oui où je fonde et retrouve le fil de ma vie. Tout le reste dépend de Dieu.

Être plus fort si je suis humble et plus humble quand je me sens fort.

Aimer et croire fondent l’être. Nous sommes à cause de l’Être, origine et destin de nos vies. Notre espérance est une nostalgie.

La souffrance et la mort règnent au cœur de la vie. Tristesse et désespoir tissent la trame de la joie d’amour, et le doute défie sans cesse la foi.

La beauté et la justice témoignent de notre gloire et de la chute du monde, qui attend son Sauveur. Nous en témoignons aussi. Comment, jusqu’où et quand?

Je suis libre quand je rêve ma vie, que ce rêve est beau et que j’y crois. Mon songe n’est pas mensonge quand il crée liberté et sens. Alors, nous pouvons aimer et tout revient à Dieu, qui est amour. Le sommes-nous?

Je veux pulvériser les frontières de crainte qui m'emprisonnent, chasser le doute et l’orgueil et faire de ma vie un combat vrai, joyeux et courageux, mais modeste et respectueux, pour la foi opérant par l'amour.

Je ne veux pas être moi et encore moins celui que je voudrais être, mais, comme dans la chanson, sans vanité ni fausse humilité, riche de dépossession, posséder toutes les richesses.

Qu’il en soit ainsi…


Les masques de l'action

Agir

Agir, c'est parfois construire une forteresse autour de notre propre insignifiance, remparts de mots et d'actes destinés à cacher un indicible et insupportable néant, comme ces murs cache-misère protégeant parfois les touristes argentés de la vue des bidonvilles.

Être

Être est le seul verbe; tous les autres ne sont jamais que des attributs du sujet : avoir, faire, paraître, jouir, pleurer, etc. Il y a un verbe cependant qui peut définir être: c'est aimer. Car l'être, l'existant, vient de Dieu, et Dieu est amour, être est aimer, aimer c'est être : tous les autres verbes prennent vie et sens par l'amour.

Écrire

Quelle drôle d'idée, écrire... Conserver précieusement une émotion, vouloir la sauver de l'anéantissement, au fond rien moins qu'empêcher la disparition de la vie. Quel orgueil insaisissable s'y niche? Quel esprit collectionneur désire encore... S'affranchir du temps, du monde, rêver le paradis terrestre. Croire mieux et plus.

Forêt au printemps, dévastée par la tempête, déshabillée par l'hiver, vivante, éternelle. Sous un ciel transcendant, tant d'enfance, tant de jours.

A toi l'inexistant

Tu as le droit d'être heureux, ici et maintenant, parce que tu es vivant et que tu crois.

Vie

Plus j'avance en âge et plus j'ai de mal à comprendre la plupart de ces choses qui ensemble ou séparément constituent une existence humaine. Perte de réalité ou gain de réalisme? C’est comme si la maladie du monde, à moins que ce ne soit seulement la mienne, mais non, c'est bien celle du monde moderne, venait de cette folie d’objectiver, de ce délire mathématique, orphelin de toutes les transcendances passées, exigeant de chaque instant qu'il se chosifie, afin que la vie se réduise en permanence à un objet et non à un sujet, à ce qui n'est pas de l'ordre de la conscience plutôt qu'à Celui qui fait sens, c'est-à-dire, en réalité, à rien plutôt qu'à tout.

Un des drames de l'existence est que nous préférons les malaises familiers aux bonheurs inconnus.

Mort

Je ne veux pas de la mort, ni pour autrui ni pour moi. J’ai mal à mes morts, passés, présents et surtout à venir. Je hais la mort, notre ennemie, mais je sais que je dois mourir pour être en vie.

Enfance

La vraie vie nous vient de l’enfance. En elle ni gloire, ni pouvoir, ni possession, que du rêve-réalité, tout le temps, du paradis volé à l'enfer. Pas de paraître, de faire-valoir ni de reconnaissance de ses pairs, juste l’évidence de la vie. Pas de mort non plus, car rien de fini, ni trop tard ni trop tôt, ni plus tard ni plus jamais. Grandir, retrouver l'élan de l'enfance.

Illusion

Ici est la vie vécue comme une illusion. Or, même si elle est faite d'un nombre assez considérable d'illusions, même si tout n'est qu'illusion, si le réel lui-même est une illusion, il échappe en vérité à toute mathématisation ou chosification, il n'est pas dénué de vie, il est au contraire tout entier tissé de la vie, vibrant de vie, âmes vivantes issues de Dieu, dont l'origine, l'essence et la destinée sont divines. Dieu, l'être divin incréé, n'est pas la dernière illusion, mais l'ultime et, en dernière analyse, seule et unique réalité.

 Croire

Croire signifie croire en la véracité de l'amour : l'amour fonde la foi, la foi prouve l'amour. Crois ce que tu aimes, aimes ce que tu crois. Et il faudrait ne pas croire ! Bande de super-héros de pacotille qui se gonflent de la souffrance qu’ils s’infligent dans le seul but de pérenniser un ego malade… J’en ai marre. Je veux vivre, j’en ai marre de la mort, elle ne me quitte pas, je veux vivre, pas survivre, pas mort, pas rien, pas chose, humain, vivant, quoi !

Regarder

S'intéresser réellement à quelqu'un le rend immédiatement meilleur. Ce n'est pas seulement parce qu'on commence à le regarder avec l'œil de Dieu. Cela vient aussi de l'effet produit par ce regard chez l'intéressé : il en existe mieux, il a moins mal à l'être : il s'humanise.

Confiance

La trame même de la vie est faite de confiance : nous avons besoin de faire confiance pour vivre. Or, Dieu est le seul être digne d'une confiance absolue. Nous avons donc un besoin vital de mettre notre confiance en lui.

Parler

La parole fait l’homme, au commencement de l’homme était la Parole, car la vie des animaux est soumise au silence de l’être et donc à la mort, mais la vie de l’homme est soumise à son mensonge et donc à sa mort.

 Écrire

C’est la vie et non l’intellect ou la beauté qui m’intéresse dans les mots. C’est pourquoi je cherche la forme 'parfaite' : pour anéantir celui qui dit, aussi : "je meurs, je meurs, mais je demeure". Mais, bien sûr, même la forme parfaite d’un être imparfait ne saurait anéantir ce ‘vivre sa mort’ : car il faut mourir sa vie, il faut vivre et dire celui qui est mort pour nous, Jésus, le Christ, le sauveur.

Aimer

L’amour humain nous élève en ce qu’il nous fait désirer l’autre au lieu de nous-mêmes. Nous sommes en paix dans ce désir, puisque les autres nous survivent toujours. L’amour de Dieu transcende nos amours humaines en ce qu’il nous fait désirer celui qui survit à chacun et à tous. Il est adorable mais notre désir d’homme, tout englué de mensonge, a du mal à prendre son envol pour de telles altitudes, car là-haut seuls les plus légers que soi peuvent voler.

 Nom

C’est à cette condition que je peux prononcer Son Nom, sans le trahir ni le taire, car sa gloire est inouïe : Yehowah. Yah Jéhovah. Soit… Halelou-Yah!


Joris

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